Que penser des propos de J. S. Kennedy qui, dans Le Nouvel Anthropomorphisme (1992), déclare : « Si nous supposons tout simplement que les animaux ont des expériences mentales, c'est de l'anthropomorphisme » ? Il est assurément de bonne méthode d'éviter de projeter de façon incontrôlée dans l'animal des dispositions humaines. La tendance est toujours forte de transformer un comportement instinctif ou mécanique en une intention qui résulte de représentations mentales. Le principe de parcimonie commande donc d'essayer d'expliquer la physiologie et le comportement des animaux sans recourir à des entités mentales ou des principes vitaux mystérieux.

C'est là un problème de fond, qui est à l'origine des discussions qu'a suscitées tout le long du XVIIe et XVIIIe siècles ladite « thèse de l'animal-machine » de Descartes. Il s'agit alors d'expliquer les mouvements animaux comme l'effet matériel des interactions des parties du corps de l'animal. « Ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui ne peuvent être inventées par les hommes. »

À bien lire cet extrait de la cinquième partie du Discours de la méthode (1637), on voit que la comparaison se veut heuristique, destinée au progrès de la connaissance, et qu'elle ne nous interdit pas d'admirer les animaux. Mais la question du statut de la sensibilité et de la pensée animale est alors ouverte. Faut-il donner raison à Descartes, lorsqu'il écrit à More, en 1649, que « le plus grand de tous les préjugés que nous ayons retenu de notre enfance est celui de croire que les bêtes pensent » ?

Les expériences que nous avons avec les animaux, qu'ils soient sauvages ou domestiques, et les expérimentations que nous menons sur les animaux n'indiquent-elles pas que les animaux, loin d'être réductibles à des objets d'expérimentation, sont avant tout les sujets d'une expérience, ou comme le dit Canguilhem dans « Le vivant et son milieu », des « sujets de valeurs vitales » ?

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