L'expérience de la nature a inévitablement deux facettes. D'un côté, la nature apparaît comme un milieu sauvage, hostile, menaçant. Les événements climatiques, les prédateurs, les maladies, la possibilité de rencontrer des êtres monstrueux inquiètent l'existence des hommes qui n'ont de cesse dès lors d'essayer de maîtriser, voire de dominer leur environnement grâce leurs sciences et leurs techniques. Mais d'un autre côté, la nature est également la condition de la vie en général, et de la vie humaine en particulier. Loin de susciter de la crainte, elle appelle alors le respect, voire l'amour.
Dans l'article consacré aux « Aspects du vitalisme » qui ouvre la partie philosophique de La Connaissance de la vie, Canguilhem remarque ainsi, en se référant au biologiste tchèque Radl, que : « L'homme peut considérer la nature de deux façons. D'abord, il se sent un enfant de la nature et éprouve à son égard un sentiment d'appartenance et de subordination, il se voit dans la nature et il voit la nature en lui. Ou bien, il se tient face à la nature comme devant un objet étranger, indéfinissable. » Et dans sa réflexion sur « La monstruosité et le monstrueux », il rappelle que « l'existence des monstres met en question la vie quant au pouvoir qu'elle a nous de nous enseigner l'ordre. Cette mise en question est immédiate, si longue qu'ait été notre confiance antérieure, si solide qu'ait été notre habitude de voir les églantiers fleurir sur l'églantier, les têtards se changer en grenouilles, les juments allaiter les poulains, et d'une façon générale, voir le même engendrer le même. »
Ainsi oscille notre rapport à la nature, de la confiance à la crainte, du sentiment d'appartenance à celui d'hostilité. Par-delà ce constat factuel se posent des questions de fond : la nature en tant que telle peut-elle être un objet de respect ou d'amour ? Ne le devient-elle pas qu'une fois domptée par l'homme et ses techniques ?