Georges Canguilhem (1904-1995) est un de ces rares philosophes à avoir soutenu, en plus de sa thèse de philosophie (La Formation du concept de réflexe au XVIe et XVIIe siècles, 1953) une thèse de médecine (Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, 1943). Il a par ailleurs exercé la médecine durant la Seconde Guerre mondiale à l'occasion de son engagement dans la résistance.
La Connaissance de la vie (1952) est un recueil de conférences et d'articles qui prolongent la réflexion entreprise dans l'Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique. L'idée directrice est de rendre compte de l’originalité du fait vital, de l’irréductibilité du biologique au physico-chimique. Ce qui implique un double dialogue. D'une part, la théorie mécanique de l'organisme est non seulement critiquée, mais inversée. Canguilhem soutient ainsi dans « Machine et organisme » qu'il ne faut pas penser le vivant à partir de la machine, mais au contraire qu'il faut penser le geste technique et ses productions à partir du vivant. Le vivant se définit en effet par ses interactions avec son milieu, or l'outil et la machine ne sont-ils pas eux-mêmes des manières originales d'interagir avec le milieu ? D'autre part, la discussion est engagée avec le vitalisme, théorie que certains n'hésitent pas à qualifier de « pseudo-scientifique » parce qu'elle explique les propriétés du vivant par un mystérieux « principe vital » animant les organismes. Le vitalisme a, aux yeux de Canguilhem, le mérite de reconnaître et de penser le caractère créateur de la vie, mais également le défaut de recourir à une notion purement verbale pour en rendre raison.
L'effort de Canguilhem, que ce soit dans sa réflexion méthodologique sur « L'expérimentation en biologie animale » ou dans ses analyses philosophiques sur « La machine et l'organisme », « Le vivant et son milieu », « Le normal et le pathologique » ou encore « La monstruosité et le monstrueux » consiste donc à caractériser la singularité du rapport des êtres vivants à leur environnement sans tomber dans les facilités du vitalisme. Il attire ainsi notre attention sur la souplesse du vivant et sa puissance normative. Il nous invite par exemple à voir dans le monstre non pas un individu atypique et raté, mais un potentiel prototype d'une normalité à venir.