Parce qu'elle implique un rapport en apparence direct au réel, l'expérience semble être une source de connaissance décisive. L'observation peut révéler l'existence de phénomènes que la pensée humaine n'aurait jamais pu imaginer ni concevoir. Un voyage dans le Nautilus met fin à bien des spéculations. Ainsi, les philosophes empiristes ont soutenu que toutes nos connaissances dérivaient de l'expérience. Et l'expérimentation permet de tester des hypothèses et de corriger des intuitions erronées. Le recours à l'expérimentation pour tester les théories s'est ainsi imposé comme un critère permettant de distinguer ce qui relève de la science des pseudo-sciences.

Pourtant, le rapport entre expérience et connaissance n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Tout d'abord, l'immédiateté de l'expérience n'est pas absolue. En effet, le rapport empirique au réel s'effectue par la médiation de nos sens, or nos sens sont limités et faillibles. Nos préjugés, nos intuitions fausses proviennent souvent de l'expérience ordinaire, qui loin d'être une source de connaissance, est peut-être le premier obstacle épistémologique à surmonter. Le géocentrisme n'était-il une évidence des sens confirmée par l'expérience de chaque jour ?

De plus, l'expérimentation sollicite la médiation d'appareils techniques et d'artefacts. Canguilhem insiste plus d'une fois sur l'artificialité de ce milieu qu'est le laboratoire, et se demande s'il est possible d'étudier ainsi le vivant hors de son milieu naturel. Ajoutons à cela que la confirmation empirique n'a pas valeur de démonstration, on peut en effet très bien confirmer expérimentalement une hypothèse fausse. Enfin, quand bien même tous ces obstacles seraient levés, reste le problème du passage d'une observation expérimentale particulière à une connaissance générale, problème particulièrement aigu lorsqu'il s'agit du vivant où les individus varient fortement entre eux.

Canguilhem, dans « L'expérimentation en Biologie animale » insiste sur ces difficultés. D'une part, affirme-t-il, « ce n'est que par l'expérimentation que l'on peut découvrir des fonctions biologiques ». Ici, il faut entendre expérimentation au sens fort d'une intervention sur un organisme (greffe, ablation, etc.), seule manière de mettre fin aux spéculations sur les fonctions de tel ou tel organe. Mais d'autre part, il admet qu'« il faut bien dire qu'en biologie la généralisation logique est imprévisiblement limitée par la spécificité de l'objet d'observation ou d'expérience. » Dès lors, dans quelle mesure l'expérience de la nature nous permet-elle de la connaître ?

EN RÉSUMÉ