« Nous trouvons la nature devant nous comme une énigme et un problème que nous nous sentons poussés à résoudre tout autant que nous sommes repoussés par lui : attiré, l'esprit s'y pressent lui-même – repoussé, il l'est pas quelque chose d'étranger en quoi il ne se retrouve pas. C'est de l'étonnement – dit par suite Aristote – que la philosophie a pris son commencement. Nous commençons par percevoir, nous récoltons des connaissances au sujet des configurations et lois multiformes de la nature ; ce qui, déjà pour soi-même, conduit – qu'on aille vers l'extérieur, vers le supérieur, vers l'inférieur, vers l'intérieur – à un détail infini, – et, précisément parce qu'aucun terme n'y est prévisible, cette démarche ne nous satisfait pas. Et, dans toute cette richesse de la connaissance, peut à nouveau se présenter à nous, ou surgir pour la première fois, la question : « Qu'est-ce que la nature ? » » Ce texte du philosophe Hegel, extrait de son Encyclopédie des Sciences philosophiques (1830), condense les problèmes posés par la notion de nature, surtout lorsqu'elle est substantivée et prise au singulier (« la nature »).
En effet, savons-nous précisément ce que recouvre ce terme familier ? Sans doute le mot « nature » suscite-t-il en nous des images particulières et un rien stéréotypées (images de forêts, de montagne, de mer, par exemple). Sans doute connaissons-nous différents phénomènes dits « naturels » et différentes configurations « de la nature : des biotopes, des écosystèmes, etc. Mais le concept de nature lui-même est-il bien défini ?
On peut en douter. Car le concept de nature est lui-même équivoque. Il peut tout d'abord être construit par opposition à l'artificiel ou au conventionnel. La nature renvoie alors à une forme d'altérité primordiale. En ce sens, la nature désigne ou bien un ensemble d'êtres spécifiques (les minéraux, les végétaux, les animaux), non fabriqués par l'homme, ou bien un état originel, l'état de nature, celui qui existe avant que l'homme ne l'ait transformé, voire dénaturé. Mais la nature peut également désigner la totalité du réel, le cosmos ou l'univers. En ce sens, rien n'est hors nature, et notamment, rien n'échappe aux lois de la nature, sinon ce qui relève du miracle, du sur-naturel. Soucieux de promouvoir un concept rationalisé du concept de nature, Descartes écrit par exemple dans Le Monde (1633) : « par la Nature je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière même […] ».
Ainsi, identifions-nous bien ce dont on a fait l'expérience lorsqu'on dit avoir fait l'expérience de la nature ? Ne faut-il pas distinguer les diverses expériences des phénomènes naturels particuliers et les expériences de la nature elle-même, si une telle notion a du sens ? Peut-être avons-nous l'intuition de rentrer en contact avec une puissance dynamique à l'œuvre dans le réel, hors de l'homme, mais aussi dans l'homme ? Mais une telle puissance existe-t-elle ? N'y a-t-il pas là une forme de mysticisme de la nature, qui tend à la personnifier ? Bref, la notion de « nature » est-elle un concept classificatoire instable et conventionnel ou renvoie-t-elle à un aspect important de la réalité ?