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Cheik A. Ndao : L’Exil d’Albouri

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Biographie et bibliographie de l'auteur

1- La vie de l'auteur

De son vrai nom Sidi Ahmed Alioune Cheik Ndao, plus connu sous le nom de « Cheik Aliou Ndao », notre auteur est né en 1933 à Karthiak près de Bignona. Fils d’un vétérinaire, il suit son père à travers tout le Sénégal. Il affirme être formé dans la meilleure école, celle des vieillards avec leur sagesse populaire. Il connaît très bien les traditions de son peuple, et surtout l’histoire de son peuple.

Il a fait une partie de ses études secondaires à Dakar et en France, puis il a fréquenté l'Université de Grenoble en France et de Swansea en Grande-Bretagne. Ancien professeur d'anglais à l'École Normale William Ponty. Il a également enseigné aux États-Unis en 1972 à De Pauw University de Greencastle (Indiana). Il fut aussi un conseiller culturel auprès du président de la République du Sénégal.

2- L'œuvre de Cheik Aliou Ndao

Son premier recueil de poésies, Kairée, publié en 1964, a obtenu le prix des Poètes Sénégalais de langue française. 

En 1970, Cheik Aliou Ndao publia le recueil Mogariennes. 

Sa pièce de théâtre, l'Exil d'Albouri (1967) a été mise en scène en 1968 au théâtre Daniel Sorano de Dakar. Elle a été par la suite jouée sur de nombreuses scènes africaines et européennes, notamment à l'Odéon (Paris), ainsi qu'en Belgique. Présentée au Festival culturel panafricain d'Alger en 1969, elle obtint le premier prix. Traduite en anglais aux États-Unis, cette pièce symbolise les débuts du théâtre historique sénégalais. 

Parmi ses autres œuvres, on peut citer, entre autres : L’Ile de Bahila (1975) ; la Case de l’homme (1973) ; Le Fils de l’Almamy (1973), La Décision (1967) Du sang pour un trône ou Gouye Diouli un Dimanche (1983) Excellence vos épouses (1983) ; Un bouquet d’épines pour elle (1988).

Sa nouvelle Le Marabout de la sécheresse, publiée en 1979, se trouve en bonne place dans les programmes scolaires.

Partisan de la transcription des langues africaines, Cheik Ndao est l'un des rares écrivains Sénégalais à avoir publié un roman en wolof : Buur Tillen, le roi de la Médina (1972) ; une œuvre qui a fait l’objet d’une massive publication. La version française est disponible ; elle est une adaptation de l'original. Son dernier roman (publié aussi en wolof), Mbaam Dictateur a été réédité en français par Présence Africaine en 1997.

L'œuvre intégrale L’Exil d’Albouri

1- Structure de l’œuvre

La pièce se structure en neuf tableaux :

  • Le premier tableau s’ouvre sur une opposition anodine entre Beuk nek et le griot Samba. Celui-ci doit convoquer le peuple à la réunion sous l’arbre à palabre pour le couronnement du Prince Laobé Penda.

  • Le second tableau débute par l’assemblée du roi pour délibérer sur la décision du gouverneur qui a rompu l’accord avec les royaumes et a levé ses spahis contre eux. Devant une discussion passionnée, le roi lève la séance. Ce tableau se termine par une discussion opposant la sœur du Roi, Linguère Madjiguène à la reine Sêb Fal qui réclame son rôle d’épouse, de femme.

  • Le troisième tableau est le moment d’une deuxième assemblée après la décision de Bourba de s’exiler vers Ségou et former une alliance avec lui. Laobé Penda est d’avis qu’il faut rester et mourir pour le trône. Les autres Diarafs se rangent de son côté, sauf le Diaraf des Esclaves. Le Prince a déjà convaincu une partie de l’armée.

  • Le quatrième tableau présente la conspiration de Laobé Penda. Il ordonne à ses soldats de tuer le Diaraf des Esclaves qui les espionnait.

  • Le cinquième tableau se déroule chez la Reine Mère avec Linguère et Reine Sêb. La Reine Mère raconte sa vie dans la cour de son mari et les sacrifices auxquels elle consentit.

  • Chez le roi, dans le sixième tableau, la reine Sêb entre dans une conversation intime avec son mari. Le roi décide qu’elle ira chez ses frères au Cayor, et non de prendre part à l’exil. Samba arrive avec la nouvelle de la traîtrise de Laobé Penda qui pactise avec le Gouverneur, et lui informe qu’il vient d’assassiner le Diaraf des Esclaves.

  • Dans le septième tableau, on assiste à la dernière réunion du roi avec le peuple qui accepte de le suivre plutôt que de rester esclave.

  • Dans le huitième tableau, on découvre le roi et sa suite sur le chemin de l’exil, attendant son arrière-garde conduit par son Beuk nek. Samba profite de cette escale pour lui annoncer que la reine est du voyage. Elle se découvre au roi, et demande pardon à Reine Mère et fait la paix avec Linguère. L’arrivée de Beuk nek clôt ce tableau.

  • Le tableau neuf coïncide avec la levée du camp. Moment saisi par Bourba pour parler des difficultés qui attendent le convoi, la faim, les animaux dangereux, le climat hostile. 

L’épilogue résume la fin tragique d’Albouri qui va mourir dans la bataille et la dispersion du peuple de Ndiandiane Ndiaye entre Kano, Médine et Ségou.

2- Le résumé de l’œuvre

La pièce s’ouvre sur une atmosphère de fête de nomination du Prince Laobé Penda, dont le courage et la vaillance sont connus dans tout le Djolof. La place de Yang yang est le lieu de cette intronisation. C’est à ce moment qu’un guerrier vient annoncer l’invasion imminente du royaume du Djolof par le Gouverneur qui vient de rompre les traités qu’il avait signés. Afin de faire face à la menace, le roi Albouri convoque une réunion pour permettre à l’assemblée de se prononcer, mais il sera obligé de suspendre la séance à cause des esprits qui s’échauffent. En tête à tête avec son frère, Bourba lui annonce sa décision de s’allier avec les autres rois contre l’armée du gouverneur. Venu annoncer la décision d’aider le roi de Ségou, Ahmadou fait entrer Laobé Penda dans une colère ; il s’oppose à la décision de son frère.

En effet Laobé Penda ne peut cacher son indignation devant ce qu’il considère comme une fuite indigne d’un descendant de Ndiandiane. La Reine Mère Mam Yay et la Linguère Madjiguène ne partagent pas son avis de fuir, mais elles finiront par comprendre et accepter l’exil. Devant le différend qui oppose Bourba à son frère, Ardo, le Diaraf de Thingue et le Diaraf de Varhôh se rangent du côté de Laobé Penda qui pense que l’honneur des Ndiaye sera sauf dans la résistance. Et le Diaraf des esclaves, fidèle au Roi, surpris en train de les espionner, sera tué.

Laobé Penda va même jusqu’à convaincre une partie de l’armée à le suivre. De suite, il fait le partage des munitions entre les soldats.

Au moment où Albouri devisait avec sa femme la Reine Sêb Fal, le griot Samba vient lui annoncer que le Prince Laobé Penda a signé un pacte avec le gouverneur. Le Roi, malgré tout, précipite son départ approuvé par le peuple qui préfère l’exil à l’esclavage. Puis le Roi, inquiet au début du voyage, se rendra même compte que sa femme est du voyage pour lui apporter son soutien moral. Il accepta même la réconciliation avec Linguère et Reine Mère. En dépit du bonheur qui l’anime, le Roi tient un discours empreint de sincérité sur le caractère aventureux du voyage. Et comme il l’appréhendait, son fils Bouna sera enlevé et envoyé à l’école des otages à Ndar. Le roi Albouri lui, mourut au combat. Les autres membres de son royaume seront dispersés entre Kano, Médine en Arabie et le royaume Bambara.

Les principaux personnages et leurs rôles

Le Roi Albouri Ndiaye : Il naquit en 1842 à Thial. Ici, le dramaturge a conçu une œuvre dite de mythe. Albouri ou « Bourba » est le Roi du Djolof, et vit à Yang yang sa capitale. Il est présenté comme un combattant courageux, mais aussi comme un roi plein de sagesse. Il est posé, calme comme tout bon roi. Aussi, dans les moments de crise, il propose de « réfléchir en paix » avant de prendre une décision. Après un long séjour à la Cour du Cayor, Albouri, il retourne dans son royaume en 1875 et s’empare du pouvoir, où il prit le titre de « Bourba ». Après l’annexion du Cayor, les français le trouvent gênant et le chassent en 1890. En fait, dans cette intrigue, il est question de son exil pour conserver l’honneur de sa lignée, en lui évitant la soumission. Il va se joindre aux troupes d’Ahmadou. Il mourut loin de son pays, vers le Niger.

Le Prince Laobé Penda : Tout comme son frère, il est courageux, et d’ailleurs il considère le combat comme un devoir, ce qui lui a valu la récompense du roi, son frère. Contrairement à son frère, Laobé Penda est spontané, impulsif et fougueux. Avare en parole, il est un homme d’action. Le roi le connaît trop bien pour dire de lui qu’il « est très irréfléchi quelquefois ». Et le Diaraf de Thingue dit de lui la même chose : « Trop de précipitations, Laobé Penda ». Aussi, a-t-il tenu coûte que coûte à combattre pour la protection du trône. Mais contre toute attente, il va pactiser avec le gouverneur, en se soumettant.

La Linguère Madjiguène : Elle est la sœur du roi Albouri. C’est une femme forte de caractère et une guerrière.

La Reine Sêb Fall : Elle est princesse de naissance. Albouri l’a choisie lui-même comme épouse de la Cour royale du Cayor. Elle est très jeune, mais aussi capricieuse. En fait, elle ne fait que réclamer son droit de femme, de rester femme. Pour cette raison, elle refuse d’être comme sa belle-sœur, Linguère Madjiguène.

La Reine Mère Mam Yay : C’est la mère d’Albouri. Elle est très compréhensive, surtout vis-à-vis de son fils, le roi. Elle fut auprès de Biram, son défunt époux, une épouse docile, exemplaire.

Beuk Nek : Il est le bras droit fidèle de Bourba. Il fait partie de la race des grands guerriers. D’ailleurs, c'est lui qui va prendre la tête de l’arrière-garde du roi et infliger une petite défaite à l’armée de Laobé Penda et les Sofas du gouverneur.

Samba : Il est le griot attitré du roi Albouri. Il incarne le syncrétisme religieux et ne s’en cache pas. Loin d’être hypocrite comme le lui crache Beuk nek, il passe pour quelqu’un qui n’a pas peur de dire la vérité. Il n’a pas besoin d’être présenté puisqu’il le fait : « Pourtant, qui ose se vanter d’avoir le quart de mon savoir ? » lance-t-il.

Le Diaraf de Thingue : Il gouverne la province de Thingue. C’est un autre combattant de l’armée du roi. Il est consulté par le roi sur les épineux problèmes d’État. Mais il se rangera du côté de Laobé Penda. Il sera tué par le bataillon de Beuk nek.

Le Diaraf de Varhôh : Il gouverne Varhôh, là où se trouve la cavalerie de l’armée du Djolof. Comme le Diaraf de Thingue, il soutiendra le Prince Laobé Penda.

Ardo : C’est un chef guerrier peulh. Très lucide pour comprendre le Bourba, mais il va se ranger du côté du Prince.

Le Diaraf des Esclaves : C’est le seul à soutenir le roi Albouri, cela, jusqu’à le payer de sa vie en le servant comme espion.

Les thèmes abordés dans l’œuvre

1- La trahison

Ce thème est très présent dans le texte. D’abord, en déclarant qu’ils obéissaient au doigt et à l’œil le Bourba, Les Diarafs de Thingue et de Varhôh et Ardo n’ont pas hésité à l’abandonner, surtout parce que Laobé Penda avait mobilisé l’armée pour assiéger l’Assemblée. Et ils se réunissaient chez le Prince à l’insu du Bourba, ce que d’ailleurs le Diaraf des Esclaves a découvert.

Ensuite, non content d’être opposé à son frère, prétextant la défense de l’honneur, Laobé Penda ne s’est pas gêné à trahir le peuple en acceptant le protectorat du gouverneur.

D’un autre côté, le gouverneur fut le premier traître, car, ayant signé un traité, il le rompt sans aviser les cosignataires, mais surtout il les attaque à l’improviste.

2- L’honneur

L’honneur, ou le « jom » au Sénégal a toujours été la raison de vie des rois. Dans la Cour du Djolof, l’honneur fut le ciment, la force du peuple. Ardo dira ainsi : « je n’agirai que pour le bonheur de notre terre : mon honneur est au bout de ma lance ». Même Laobé Penda est mû par l’honneur pour être le grand combattant qu’il est. En plus, il propose à son frère de défendre le Djolof jusqu’à la mort. L’avis de Reine Mère était le même. D’un autre côté, l’exil proposé par Albouri relève de l’honneur. Sa vision est guidée par le salut, et sa clairvoyance l’a poussé à penser au moyen d’épargner le peuple tout en maintenant la dignité du Djolof intacte. Il dit lui-même, pour convaincre sa mère de la nécessité de l’exil : « à Ségou, des hommes refusent de courber l’échine / Lutter ou mourir, pas servir ». C’est par honneur que la reine Sêb passe outre la décision de son mari Albouri pour faire partie du voyage. Une manière pour elle de garder son honneur et mériter son nom : « Serais-je digne de toi en restant à Yang yang à un pareil moment ? » dit-elle. Elle défend son honneur en affirmant qu’elle est la femme du roi non son esclave.

3- L’exil

L’exil, au sens d’Albouri, n’est ni une fuite, ni un exode, mais plutôt une façon de reculer pour attaquer, et surtout une manière de chercher des alliés pour faire face à la puissance de feu de l’armée du gouverneur. Finalement, pour le peuple, l’exil était le seul moyen de rester sauf et digne. Aussi la dernière Assemblée tenue par le roi est rythmée par le slogan du peuple : « L’exil plutôt que l’esclavage » (septième tableau). Le véritable motif de l’exil apparaît précisément quand le roi Albouri s’adresse au peuple qui l’a suivi, en ces termes « les bottes ennemies ne marcheront pas sur nos cadavres. »

4- Le rôle de la femme

À travers les conversations, essentiellement, on note une volonté du dramaturge de montrer les différents rôles que les femmes occupent dans la vie de Cour, dans la vie tout court du Djolof. La femme du foyer est notamment là en filigrane, avec les revendications incessantes de la reine Sêb. Sa conversation avec Linguère laisse apparaître l’amour de cette femme pour son mari, amour qu’elle n’attend qu’à exprimer : « Ô vois mes seins qui bourgeonnent ! Toutes les nuits se retourner seule dans son lit, les yeux ouverts. », et ajoute-t-elle à l’endroit de sa belle-sœur : « Je suis femme avant d’être Reine ». Elle veut ainsi au moins avoir un ou une enfant et vivre la maternité : « Un enfant ! Albouri, un enfant… ». Cela, pour dire que la femme, quelle que soit la situation, entend jouer un rôle à côté de son mari. Aussi, les femmes sont-elles de vraies guerrières quelquefois à l’image de Linguère. D’ailleurs, la Reine Sêb ne dit pas le contraire, même si quelque part, elle n’est pas d’accord avec Linguère Madjiguène : « Mon devoir me dicte de te suivre » dit-elle au Roi.

5- Le courage

Le courage est présent chez tous les sujets du Djolof. Et on ne s’étonnera nullement si la Reine Mère répond à son fils Albouri : « L’exil vers où ? Non, fils, non ! Meurs dans ta capitale, au milieu de tes sujets. ». À ce propos, elle a eu à rappeler une preuve de courage de son fils, lorsqu’elle dit : « Je me souviens du jour où, alors que tu étais hors de la ville, nous fûmes assiégés par Bara le conquérant Toucouleur et le roi du Baol. Ce jour-là, j’ai remercié le Seigneur d’avoir eu un fils comme toi. Dès ton retour, tu tuas le Toucouleur pendant que l’autre s’enfuyait. »

Portée esthétique et idéologique de l'œuvre

L’exil d’Albouri peut bien être classé dans les Tragédies africaines : le héros est un noble, un roi, un preux, comme dans les tragédies grecques ou plus récemment dans les tragédies classiques. Chose extraordinaire, c’est que du point de vue formel, la pièce de Cheik Aliou Ndao n’a rien d’Occidental, mais les valeurs portées par les personnages rejoignent étrangement des valeurs occidentales gréco-romaines. La chose politique, l’honneur, la famille, l’amour, le choix décisif sont autant de points communs qui peuvent légitimer le théâtre africain comme un théâtre complet. La réussite de l’auteur vient du fait que, de 1967 à nos jours, cette pièce continue de nous apprendre des choses, de participer à la fierté de la jeunesse noire qui peut se regarder à travers le personnage d’Albouri.

À propos de son œuvre, Cheik Aliou Ndao dira lui-même, dans le Prologue « Mon but est d’aider à la création de mythes qui galvanisent le peuple et portent en avant. ».

On comprend donc sa façon de traiter l’histoire qu’il connaît. À travers le traitement qu’il fait subir à l’histoire, on voit aussi comment il a participé à immortaliser le roi Alboury. « On a le droit de « violer » l’histoire, si c’est pour lui faire de beaux enfants » écrivait-il, justement. Cheik Aliou Ndao a réussi à rétablir une vérité historique dans cette pièce en utilisant une dramatisation qui rend compte de la vie de Cour du grand conquérant le Bourba Djolof.

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