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Monsieur Thogo-Gnini de Bernard Dadié

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La vie et l'œuvre de Bernard Dadié

La vie de l'auteur

Bernard Abou Koffi Binlin Dadié est un écrivain, académicien et homme politique Ivoirien né à Assinie dans le sud de la Côte d'Ivoire, le 10 janvier 1916 et mort le 9 mars 2019.

Sa scolarité se déroule d’abord à Grand-Bassam et à Bingerville. En 1933, il écrit sa première pièce de théâtre, pour la fête de l’Enfance, à Abidjan, Les villes. La même année, ayant réussi au concours d’entrée à l’École normale William Ponty, alors située sur l'île de Gorée, il part finir ses études au Sénégal. Nommé en 1936 à l’IFAN, il y restera dix ans avant de regagner, en 1947, la Côte d’Ivoire, où il prend une part active dans la lutte anticoloniale. Il sera, pour cela, arrêté et emprisonné seize mois (entre 1949 et 1950), pendant lesquels il rédige ses Carnets de prison (publiés en 1981). Depuis l’indépendance, Bernard Dadié a occupé d’importantes fonctions dans l’administration et le gouvernement de son pays (chef de cabinet au ministère de l’Éducation nationale, directeur des services de l’Information, directeur des affaires culturelles, ministre de la Culture).

L'œuvre de Bernard Dadié

Bernard Dadié a abordé presque tous les genres : le théâtre (Papassidi, maître-escroc ; Monsieur Thogo-Gnini ; Béatrice du Congo ; Les Voix dans le vent ; dans les années 1970), le conte (Légendes africaines en 1954 ; Le Pagne noir en 1955), les chroniques (Un nègre à Paris en 1959 ; Patron de New York en 1964), la poésie (Afrique debout ! en 1950 ; la Ronde des jours en 1956), le roman (Climbié en 1961), la Nouvelle (Les jambes du fils de Dieu en 1980).

En 1965, il obtient le Grand prix littéraire d'Afrique Noire pour Patron de New York, et le prix UNESCO/UNAM en 2016 pour son action en faveur de la culture africaine. Le Grand Prix des mécènes de l'édition 2016 des Grands Prix des associations littéraires lui a également été décerné, le 9 mars 2017 à Yaoundé, au Cameroun, en hommage à toute son œuvre bibliographique.

L'œuvre intégrale Thogo-Gnini

L’œuvre de Bernard B. Dadié Monsieur Thôgô-Gnini est une pièce théâtrale qui met sur scène deux femmes et seize hommes. L’œuvre comporte cent quinze pages divisées en six tableaux. Il est édité par les éditions Présence africaine en 1970. 

NB : De la personnalité et de la psychologie du personnage principal (Thogo-Gnini)

Monsieur Thôgô-Gnini, c’est le héros de l’œuvre. C’est un homme orgueilleux et qui aime faire le malin d’où son nom Thôgô-Gnini. Au moment où commence la pièce, Thôgô-Gnini est un « gentil », proche des valeurs négro-africaines : « Thôgô-Gnini », porte-canne du roi, est en tenue nationale et auxiliaire des blancs. Dans la société africaine où personne n’a le droit de s’adresser directement au souverain, ou à une autorité quelconque, on se sert toujours d’un intermédiaire ; c’est souvent le rôle dévolu au porte-canne. C’est dans cette perspective que Monsieur Thôgô-Gnini sert d’interprète au roi, à l’arrivée du Blanc. Mais depuis l’arrivée de ce dernier, il abandonne sa fonction de porte-canne du roi pour devenir l’auxiliaire du Blanc. 

Plus loin (à La Palmeraie), après avoir découvert l'Argent, son espace psychique se métamorphose : « Au fond de la salle Monsieur Thôgô-Gnini observe le spectacle, il est habillé en occidental, gros ventre, panama, culotte, badine, gros cigare ». Dans le même mouvement, son comportement devient celui du colon. Thôgô-Gnini devient Autre que lui-même, un assimilé, et se « déshabille » des valeurs qui le rattachaient encore à la société négro-africaine pour s'affubler de valeurs mi-animales, mi occidentales :

(Un être habillé de peau de lion, de panthère, de léopard, d’hyène, moitié blanc, moitié noir, paré de plumes de paon, de corbeau, d'aigle, revolver à la ceinture, et à la main, un fusil en bandoulière, botté).

Plus loin dans la pièce théâtrale, on voit Monsieur Thôgô-Gnini dans tous ses aspects, aussi bien sur le plan économique, moral, qu’intellectuel. À travers ce tableau, l’auteur nous montre un Monsieur Thôgô-Gnini comme un homme qui a réussi. Monsieur Thôgô-Gnini lui-même fait son autoportrait en ces termes :

« - Sans moi que deviendrait surtout le pays ? C’est pour moi que viennent tous les bateaux du monde. Les traitants ne connaissent que Moi. Mais être riche dans un pays pauvre pose des tas de problèmes. Ma fortune, je l’ai acquise honnêtement, très honnêtement. » 

Thôgô-Gnini est le seul personnage présent dans tous les tableaux. Il ne se contente donc pas d'avoir « le monopole du riz et du tabac, le monopole de l'huile et de la banane, le monopole du gingembre, de l'ivoire et du coprah », il a également celui de l'espace. Un seul héros, une seule histoire, un seul espace, un seul temps. Une certaine unicité qui contraste avec son évolution psychologique.

Sur le plan moral et psychologique, Monsieur Thôgô-Gnini est le prototype même du comprador : celui qui sert les intérêts étrangers et entretient les relations économiques avec l’impérialisme. D’ailleurs son accoutrement rappel fort cette servitude.

Monsieur Thôgô-Gnini est à n’en pas douter un mégalomane qui pense qu’il ne peut pas être honoré tant qu’il n’a pas de liens avec Paris ou Londres. C’est pourquoi il voudrait faire dire des messes en Europe à l’intention de son père mort en Afrique.

La position de Monsieur Thôgô-Gnini est dialectique : l’évolution du personnage se définit par son opposition aux intérêts de la masse. Mieux, Monsieur Thôgô-Gnini est le symbole du pouvoir déshumanisé, du pouvoir personnel, se situant au-dessus de toutes les valeurs humaines, de toute conception démocratique. C’est aussi, l’archétype du roi fantoche au service de l’impérialisme. C’est enfin, l’image de l’échec du pouvoir dû à la corruption, à la gabegie, etc. C’est pourquoi d’ailleurs Thôgô-Gnini représente la classe dominante opposée à la classe dominée dont le prototype est N’Zékou.

Par ailleurs, à y voir de près, Monsieur Thôgô-Gnini n’est-il pas un personnage à la recherche de l’identité perdue ?

« Qui me connaît ? Je suis Blanc, je suis Noir. Je suis lion, panthère, hyène, corbeau, aigle. Je suis tout, je suis rien, je suis l'avenir. (...) Les autres, c'est moi, et c'est moi les autres. La cité c'est moi, et moi c'est la cité. Je suis le présent. » 

Ces états successifs et contradictoires apparaissent chez Thôgô-Gnini comme la tentative de retrouver l'identité perdue. En effet, son nom même est une métaphore de cette identité perdue ; « thôgô » en langue malinké signifie « nom », et « gnini », toujours en malinké, signifie « chercher ». 

Ainsi « Thôgô-Gnini » est-il Celui-qui-cherche-un-nom ou son nom. Le nom en Afrique ayant des référents ethniques, religieux et historiques, il est aisé de penser que dans ce contexte, il signifie Prestige, Notoriété et surtout Identité. Enfin l'expression « Thôgô-gnini » « absorbée » par certaines langues ivoiriennes signifie Délateur, quelqu'un qui s'intéresse au Nom d'autrui uniquement pour en ternir le prestige par la délation ; c'est une sorte de cannibalisme du Nom où l'on renforce son propre prestige en « mangeant » le Nom des autres par la délation.

 Thôgô-Gnini, suivant les circonstances, peut passer de Celui-qui-a-perdu-son-nom au Chercheur-de-notoriété ou au Délateur. À ce titre, il se définit d’abord par son identité perdue, par le manque. Thôgô-Gnini refuse son nom, son identité négro-africaine pour se forger un autre nom : Monsieur ! Au moment où commence la pièce, le personnage est déjà « Thôgô-Gnini », mais c'est à travers le Rêve que la perte du nom est consommée et que Thôgô-Gnini devient Monsieur Thôgô-Gnini. Pour lui ce n'est pas un titre, c'est un nom qui représente le prestige, la notoriété et surtout la civilisation. Aussi exige-t-il des autres qu'ils en tiennent compte !

Ce Nom, il ne le doit à personne, il se l'est fait tout seul ! À la force du poignet ! Un nom qui a l'infini mérite de lui donner la grisante sensation d'être au-dessus des siens dans la mesure où il le rapproche du Blanc. Malheureusement, les siens lui refusent ce regard admiratif et déifiant qu'il se croit en toute bonne conscience en droit d'attendre d'eux. Le Nom dès lors devient aliénant puisqu'il n'est reconnu par personne d'autre que lui ; pour les autres, il demeure Celui-qui-a-perdu-son-nom.

C’est pour cela surtout, que, nié par le regard Noir, il va se tourner vers le Blanc qui nécessairement lui renverra la prestigieuse image qu'il a de lui-même.

Résumé de l'œuvre et personnages principaux

Le résumé de l'œuvre

Au milieu du XIXe siècle, un traitant blanc et son acolyte débarquent sur l’une des côtes occidentales afin d’établir des liens commerciaux avec les autochtones. Thôgô-Gnini, le porte-canne du roi, devient leur auxiliaire et s’enrichit grâce aux liens commerciaux qu’il réussit à tisser pour son propre compte personnel avec l’Europe.

Un matin, N’Zékou, un petit planteur, pénètre chez Thôgô-Gnini, il vient réclamer une dette de vingt fûts d’huile de palme. Dans un premier temps, Thôgô-Gnini feint l’oubli, mais une fois la reconnaissance de dette arrachée puis déchirée, il reconnaît les faits. N’Zékou dévient alors menaçant et Thôgô-Gnini appelle ses serviteurs à son secours. N’Zékou est arrêté.

Le jour du procès de N’Zékou, on s’aperçoit très vite que la plupart des témoins ont été menacés ou corrompus par Thôgô-Gnini. N’Zékou qui est finalement reconnu non coupable est relaxé, et Thôgô-Gnini écroué à sa place. 

Les principaux personnages et leurs rôles

1- Les principaux personnages 

  • Le Héros (Monsieur Thogo-Gnini) : C’est un homme orgueilleux et qui aime faire le malin ; d’où son nom de « Thogo-Gnini » (traduit littéralement du malinké « celui qui cherche à se faire un nom »). Il est le porte-canne du roi et auxiliaire des blancs.

  • N’Zékou : Un petit planteur ; il est le prisonnier de Monsieur Thogo-Gnini.

  • Fakron : l’ami de Thogo-Gnini ; il a voulu témoigner contre N’Zékou.

  • Brouba : La sœur de N’Zékou qui a témoigné pour son frère.

  • Bouadi : Un ami de N’Zékou qui a témoigné contre lui mais éprouvant des remords se racheta.

  • Yag-Ba : La maîtresse de Monsieur Thogo-Gnini.

  • Les acolytes blancs : ce sont ceux qui sont venus exploiter la plantation des Palmiers

2- Les personnages secondaires

  • Le Président du tribunal : C’est lui qui a libéré N’Zékou.

  • La Foule : Ce fut elle qui emmena Monsieur Thogo-Gnini au tribunal.

Les thèmes abordés dans l'œuvre

Les thèmes principaux

  • L’exploitation de l’humain : La richesse de Monsieur Thogo-Gnini provenait de l’exploitation des paysans ; Il exploitait aussi le pouvoir du roi, ce qui lui permettait de s’imposer dans la société.

  • Le Pouvoir : Monsieur Thogo-Gnini, étant le porte-canne du roi et auxiliaire entre les blancs et le peuple, occupait une place importante dans la société car il détenait le monopole de toutes les activités économiques. Il était plus craint que le roi.

  • L’injustice : Commettre des actes d’injustice était le fort de Monsieur Thogo-Gnini car il s’était approprié les meilleures terres ainsi que les rivières les plus poissonneuses. C’est ce qui a fait emprisonner N’Zékou injustement.

Les thèmes secondaires

  • La Justice : Après toutes les horreurs commises par M. Thogo-Gini, il y aura un procès au cours duquel le Président du tribunal va rendre justice au peuple et particulièrement à N’Zékou ; c’est ainsi que Thogo-Gnini se retrouvera en prison.

  • L’escroquerie : Monsieur Thogo-Gnini a escroqué les vingt fûts d’huile de N’Zékou et bien d’autres personnes. Il utilisait également les poudres d’or du roi sans qu’il ne sache et, pire, il avait l’intention de le détrôner.

  • L’individualisme : l’arrivée des Blancs et l’introduction de nouvelles cultures ont bouleversé la vie de la population de « Old Man River » car chacun devait planter des palmiers afin de subvenir à ses besoins. Ainsi, nous avons la nouvelle devise qui fut créé : « Chacun pour soi Dieu pour tous ».

Portée esthétique et idéologique de l'œuvre

Dans cette pièce théâtrale, l’auteur utilise la satire pour dénoncer la colonisation et l’humour pour chercher à ridiculiser le héros à travers le nom et les agissements de celui-ci. 

Cette pièce de théâtre fait partie de la grande œuvre dramaturgique de Bernard Binlin Dadié. Elle met en évidence les rapports étriqués entre colonisateurs et colonisés et surtout la complicité de certains privilégiés africains qui n’hésitent pas à dépouiller leurs frères africains par amour pour un gain sordide et pour le plaisir du colonisateur.

Dans un style assez marqué par l’usage abondant de figures de styles et de rhétorique, Dadié a su s’interroger sur le rôle malsain des complices africains des pourfendeurs de l’Afrique Noire.

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