I. Compréhension et compétences d'interprétation
1. Quel titre donneriez-vous à cet extrait ? Justifiez votre réponse à l'aide de deux éléments différents du texte. (6 points)
Le titre de cet extrait pourrait être « La mémoire d'une broche » ou « La broche aux souvenirs ». En effet, la broche constitue l'objet central du récit : elle est retrouvée dans « la boîte à chaussures » par la narratrice. Elle est également présente sur la robe dans la photographie lors de son départ d’Abidjan (« on voit sur la robe la broche »), et accompagne la narratrice lors de son arrivée au Liban (« C’est avec ce bijou […] que je suis arrivée à Beyrouth »).
Ensuite, c’est à partir de sa découverte (« Au décès de ma grand-mère, vingt ans plus tard, j'ai retrouvé le bijou dans sa chambre ») que les souvenirs d’enfance de la narratrice émergent. Mais l’évocation de la transmission de l’objet de sa mère jusqu’à sa petite-fille montre le lien qu’établit cet objet entre les générations : « c'est encore la broche en perle que nous regardons tous deux pour tisser la toile entre nous ». Avant que sa mère ne la trouve sur une plage, la broche est considérée comme un objet de mémoire qui a traversé les générations et les continents : « l’Atlantique qui gardait encore la mémoire de l’horreur des navires négriers ». C’est à travers l’évocation de ce bijou que la narratrice raconte à sa petite-fille l'histoire familiale : le départ d’Abidjan et l’installation au Liban.
2. Ligne 4 : « C'est quelques heures avant la grande rupture ». Selon vous, de quelle grande rupture est-il question ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur une citation que vous expliquerez. (4 points)
La « grande rupture » désigne la séparation de la narratrice et de ses parents qui l’amène à quitter la Côte d’Ivoire pour partir vivre au Liban chez sa grand-mère : la photographie prise au départ témoigne de cette rupture définitive avec sa famille : « L'image photographique a fixé la représentation d'une famille rompue, disloquée, l'absence de la mère, la distance qui déjà s'installe entre les corps ». La distance entre la narratrice et son père sur la photographie illustre également cette séparation : « Sa main gauche embarrassée d'elle-même, rejetée vers le bas, fait une frontière avec la petite fille à ses côtés. ».
3. Dans le deuxième paragraphe, la narratrice propose un portrait de sa famille. Quelles particularités met-elle en avant ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte. (4 points)
La narratrice décrit une famille brisée dont les rapports se définissent par la distance (« la distance qui s’installe entre les corps ») et le manque d’affection malgré les apparences d’unité qu’elle tente de véhiculer à travers l’image : « La photo met en scène la fiction familiale ». En réalité, le père est mal à l’aise et ne parvient pas à se montrer affectueux avec sa fille : il est maladroit dans ses relations avec la narratrice : « Sa main gauche embarrassée d’elle-même, rejetée vers le bas, fait une frontière avec la petite fille à ses côtés. ». La séparation de la narratrice avec son père est symbolisée par l’évocation de « la frontière », celle avec sa mère est illustrée par son absence : « l’absence de la mère ».
4. Selon vous, dans le troisième paragraphe, que représente « l'Atlantique » pour la narratrice ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur un procédé littéraire ou une figure de style que vous expliquerez. (6 points)
Pour la narratrice, « l'Atlantique » est évoqué à travers une anaphore. En effet, le mot est répété de façon solennelle à trois reprises pour indiquer la charge symbolique de cet océan marqué par l’histoire. L’anaphore permet ainsi de rendre le ton solennel et insistant pour exprimer les deux aspects opposés qui définissent l’océan, dans la mesure où l’Atlantique représente, d’un côté, la mémoire douloureuse de l'histoire coloniale et de la traite négrière, et, de l’autre, un océan qui est capable d'apporter des cadeaux : « l'Atlantique, qui gardait encore la mémoire de l'horreur des navires négriers, l'Atlantique, qui conservait l'écho des canons annonçant les armées coloniales [...], l'Atlantique, un jour, avait aussi apporté ce cadeau à ma mère ». Ainsi l’Atlantique est un lieu de mémoire, témoin d’un passé douloureux, celui de la colonisation et de l’esclavage, ou bien heureux l’origine de l’arrivée du bijou dans la famille. Il permet donc de faire le lien entre l’héritage historique et l’héritage familial de la narratrice.
5. Quels rôles la broche joue-t-elle dans la relation entre la grand-mère et sa petite-fille ? Deux éléments de réponse sont attendus. (6 points)
La broche permet d'abord à la grand-mère de transmettre l'histoire familiale : « ma grand-mère m'avait dit : Cette broche, ta mère l'a trouvée un jour d'orages sur la plage de Grand Bassam ». Son histoire permet de rendre compte du lien qui unit toutes les générations dans la famille de la narratrice. Ensuite, la broche favorise l'échange et la communication entre la narratrice et sa petite-fille : « c'est encore la broche en perle que nous regardons tous deux pour tisser la toile entre nous, dans cette parole échangée en bord de Méditerranée ».
6. Quels liens pouvez-vous établir entre le texte et l'image ? Vous expliquerez votre réponse en analysant deux éléments. (6 points)
Le texte de Salma Kojoc évoque le départ de la narratrice de son pays d’origine la Côte d’Ivoire et son arrivée au Liban (« mon premier voyage vers le Liban ») tandis que la photographie présente la valise de Soundirassane Nadaradjane arrivé en France en 1972 après avoir quitté l’Inde, son pays natal. Le texte et l’image illustrent l'expérience migratoire et le déracinement géographique : la narratrice et Soundirassane Nadaradjane ont quitté leur pays d’origine pour immigrer dans un autre pays comme le suggère le lieu d’exposition de la valise qui se trouve au Musée national de l’histoire de l’immigration.
Dans le texte, la broche accompagne la narratrice dans son voyage et conserve la mémoire familiale, tandis que dans l'image, la valise contient les objets personnels de Soundirassane Nadaradjane (photographies, documents, vêtements) qui maintiennent le lien avec le pays d'origine. Ces objets constituent des souvenirs qui témoignent du passé et des origines de leur propriétaire : ils accompagnent l’immigré dans sa nouvelle vie en lui rappelant son histoire personnelle.
II. Grammaire et compétences linguistiques
7. Lignes 1-2 : « Au décès de ma grand-mère, vingt ans plus tard, j'ai retrouvé le bijou dans sa chambre ».
a) Donnez la fonction du groupe de mots souligné. (1 point)
« vingt ans plus tard » est un complément circonstanciel de temps.
b) Pour prouver votre réponse, nommez et réalisez deux manipulations syntaxiques. (2 points)
Le complément circonstanciel de temps est supprimable et déplaçable. Il peut être supprimé : « Au décès de ma grand-mère, j'ai retrouvé le bijou dans sa chambre » et il peut être déplacé : « J'ai retrouvé le bijou dans sa chambre, au décès de ma grand-mère, vingt ans plus tard ».
8. Lignes 21-22 : « c'est encore la broche en perle que nous regardons tous deux pour tisser la toile entre nous ».
a) Recopiez les expansions du nom « broche » et indiquez la nature (classe grammaticale) de chacune d'elles. (2 points)
« en perle » est un groupe prépositionnel (préposition + nom), tandis que « que nous regardons tous deux pour tisser la toile entre nous » est une proposition subordonnée relative.
b) Réécrivez cette phrase en ajoutant au nom « broche » une expansion d'une autre nature (classe grammaticale). (1 point)
« C'est encore la broche précieuse en perle que nous regardons tous deux pour tisser la toile entre nous. »
9. Ligne 7 : « représentation ».
a) Expliquez la formation de ce mot. (1,5 point)
Le mot « représentation » est formé par dérivation : radical « représent- » (du verbe représenter) + suffixe « -(a)tion » (suffixe nominal).
b) Indiquez sa nature (classe grammaticale). (0,5 point)
« Représentation » est un nom commun.
10. Réécrivez le passage suivant en remplaçant « je suis arrivée » par « nous sommes arrivées ». Le « nous » représente la narratrice et sa sœur. Vous ferez toutes les modifications nécessaires. (10 points)
« C'est avec ce bijou, construit à partir d'une perle en forme de larme, que nous sommes arrivées à Beyrouth, chez notre grand-mère. Plus tard, nous nous en sommes souvenues, ou alors avions-nous inventé le souvenir ; notre grand-mère nous avait dit : Cette broche, votre mère l'a trouvée un jour d'orages sur la plage de Grand Bassam. »
III. Rédaction
Sujet d’imagination
Attendus de l’épreuve
Il s’agit d’un récit à la première personne sur la découverte d'un objet évocateur de souvenirs, avec les temps de l'énonciation appropriés (présent/passé) et le vocabulaire des émotions.
Le récit présente un narrateur qui écrit à la première personne : il faudra donc respecter les codes du genre narratif (narration, description, dialogue possible) et utiliser les caractéristiques de l'énoncé ancré dans la situation d'énonciation. Ainsi l'emploi des temps de l'énonciation correspond au présent pour exprimer le moment de l'écriture (celui de la découverte), et au passé (imparfait, passé composé, plus-que-parfait) pour évoquer les souvenirs liés à l'objet (moment du souvenir).
Le texte doit recourir au discours narratif (« Un jour, vous retrouvez ») et au discours descriptif pour présenter l'objet et les émotions qu'il suscite, ainsi qu'au discours explicatif pour justifier de l'importance de cet objet dans l'histoire personnelle.
Le vocabulaire des sentiments et des émotions doit être très présent dans le récit en fonction de la nature du souvenir lié à cet objet.
Sujet de réflexion
Le sujet porte sur le programme de 3e sur le thème : « Se raconter, se représenter ». Le problème posé est celui de la fonction de l'art dans l'évocation de la mémoire personnelle. Il s'appuie sur la culture générale et artistique des élèves, en particulier sur les œuvres d'art (littérature, peinture, musique, cinéma, photographie) qu'ils connaissent ou ont pu étudier en classe au collège évoquant des souvenirs.
Les œuvres d'art peuvent apporter un témoignage artistique sur l'expérience humaine universelle des souvenirs, mais elles ont aussi pour fonction de pouvoir toucher, émouvoir, faire réfléchir le public : l'art permet de faire partager des souvenirs personnels pour que chacun puisse s'y reconnaître et ressentir les mêmes émotions. Enfin, les œuvres d'art qui évoquent des souvenirs personnels nous plaisent car elles nous renvoient à notre propre expérience par leur capacité d'évocation.
Quelques exemples :
- sur l'enfance et la mémoire familiale : Le Petit Prince de Saint-Exupéry, Enfance de Nathalie Sarraute, W ou le Souvenir d'enfance de Georges Perec.
- sur les objets du souvenir : À la recherche du temps perdu de Proust (la madeleine), Petit Pays de Gaël Faye, L'Art de perdre d'Alice Zeniter.
- peinture et photographie : les autoportraits de Frida Kahlo, les photographies de famille de Sophie Calle, les natures mortes de Chardin évoquant l'intimité domestique.
- musique et textes de chanson : Clair de lune de Debussy, les chansons de Georges Brassens ou de Barbara sur l'enfance et les souvenirs, Jean-Jacques Goldman, Né en 17, Stromae, Papaoutai sur l’absence du père…
- cinéma : Persépolis de Marjane Satrapi.
- bande dessinée autobiographique : Maus d'Art Spiegelman, Persépolis de Marjane Satrapi, L'Arabe du futur de Riad Sattouf.